Vous avez dit populaire ? par Dimitri Joannidès

  • L’art populaire ne se limite pas aux pratiques dites traditionnelles…
    Bien au contraire, presque toutes les spécialités en contiennent.

De solides préjugés entourent l’art populaire. À commencer par l’ambiguïté que revêt le terme «populaire», souvent utilisé de manière péjorative. Bien que cet art soit aujourd’hui mieux considéré, tous ne s’entendent pas sur ce qu’il désigne précisément. Il en va souvent ainsi des disciplines qui peinent à s’inscrire dans le circuit de l’art établi, comme ce fut le cas de l’art brut et de l’art naïf.

On constate que beaucoup d’artistes modernes, et même contemporains, se rappellent au bon souvenir des arts tribaux ou primitifs et, par voie de conséquence, de l’art populaire. Pour preuve : Kandinsky et ses travaux consacrés aux coutumes des contrées éloignées du vaste territoire russe, Picasso et sa découverte des masques africains en 1906 au musée du Trocadéro, ou encore Chagall et le vif intérêt qu’il nourrissait pour les arts populaires juifs. Réalisées à l’aide de matériaux ou de techniques traditionnelles, manifestations de particularités ethniques – parfois en lien étroit avec la tradition orale ou religieuse –, les œuvres d’art populaire humanisent les objets les plus simples du quotidien.

Des objets façonnés par l’artisan, dont on ne sait trop quand il a cessé de l’être pour devenir un artiste. De fait, il n’existe pas un mais des arts populaires. Qu’ils soient normand, auvergnat, picard ou berrichon, ils puisent aux sources traditionnelles locales, tellement diversifiées qu’elles confèrent à cette discipline, souvent regardée avec condescendance, son intérêt et sa complexité. Car nul ne franchit seul le seuil des arts populaires s’il n’est un connaisseur averti !

À ce propos, il est intéressant de constater que pour l’amateur comme pour l’expert, il n’existe pas de dénominations établies et admises par le monde de l’art pour désigner telle ou telle pièce : rien n’est figé, tout est mouvant. Car s’il existe en France autant d’arts populaires que de villages et de paroisses, ce sont des milliers, peut-être même des centaines de milliers si ce n’est des millions d’arts populaires qui sont à découvrir à travers le monde, des Quechuas d’Amérique du Sud aux Dogons du Mali, en passant par les Tchouktches de Sibérie !

C’est le XIXe siècle qui découvrit l’art populaire. En la matière, le romantisme y fut pour beaucoup. Dans l’Europe de la fin du siècle, cet intérêt fut l’une des formes de l’affirmation des nationalités. La Première Guerre mondiale et ses conséquences économiques et politiques accrurent dans certaines régions la valeur de cette discipline qui servit d’assise à des cultures se voulant indépendantes.

Une discipline diversifiée
En matière d’art populaire, il n’y a pas deux ventes similaires. Modestement représentées à Drouot et en régions – on n’en compte que six ou sept cataloguées par an en France –, les ventes, dans leur quasi-intégralité, dispersent des collections thématiques, les amateurs purs et durs se montrant assez rarement éclectiques dans la constitution de leur collection.

C’est justement l’homogénéité d’un ensemble qui donne leur caractère si particulier aux ventes d’art populaire, représentant le plus souvent des thématiques assez serrées, comme cette collection dispersée le 5 juin par Me Ferri, entièrement dédiée au monde minier. Les amateurs ont pu y trouver des masques respiratoires de sauveteur, des maquettes de mines, des tabatières, des instruments de topographie, des lampes de maître mineur et même des montres aux emblèmes de la mine !

Quant à la collection Jean Kerhor (arrière-petit-neveu de Diderot), constituée sur plusieurs générations et vendue aux enchères à Rouen le 1er avril 2007, elle était entièrement dévolue aux vieux papiers : factures à en-tête, affiches publicitaires, timbres…

Autre exemple avec Pierre Julien, dont la collection a été vendue à Drouot chez Kahn-Dumousset le 16 mars 2009, qui ne s’intéressait dans les vieux papiers qu’à ce qui avait trait au monde pharmaceutique, alors même qu’il n’avait lui-même aucune attache avec le milieu médical. Pour Martine Houze, expert en art populaire depuis une trentaine d’années, «Il n’y a pas de vente complète sans un noyau important, d’environ deux cents objets, autour duquel graviteront éventuellement quelques électrons issus de collections plus modestes. Tout est fonction de la thématique.»

Des profils de plus en plus variés
Tout le monde s’accorde à penser qu’en matière d’arts populaires les collectionneurs les plus amoureux de leur patrimoine sont, de très loin, les Normands : ils se montrent souvent prêts à monter très haut pendant les ventes aux enchères, et les musées de leur région figurent parmi les acheteurs les plus actifs en France !

Néanmoins, et depuis quelques années, aux côtés des collectionneurs classiques, cette spécialité peut s’enorgueillir d’avoir su séduire de nouveaux acheteurs, dont beaucoup, amateurs d’art contemporain et de peinture moderne, s’offrent un objet sur un coup de cœur.

Si certaines spécialités peinent à émerger hors de leur cadre régional –il ne paraît pas évident pour un amateur allemand d’acquérir des poteries ardéchoises –, d’autres jouissent d’une reconnaissance internationale, à l’instar de la serrurerie et de la ferronnerie française. La France ayant été pendant longtemps une référence en la matière, les grandes collections américaines, russes ou brésiliennes en abriteront nécessairement quelques pièces significatives de qualité.

Les arts populaires ne dérogent pas à cette règle qui veut qu’une pièce rare et de valeur trouvera toujours preneur, à n’importe quel prix. Ainsi cette rarissime bouteille aux armes de France en grès à glaçures au bleu de cobalt, datant de la fin du XVIe siècle, présentée par Martine Houze, adjugée à Drouot au début des années 1990 pour 180 000 francs à un grand marchand de Haute Époque.

Si beaucoup de particuliers n’imaginent pas qu’une pièce insignifiante à leurs yeux puisse avoir de la valeur, l’inverse est également vrai. En effet, face à l’intérêt croissant du marché pour ces ouvrages d’art modeste, marchands et commissaires-priseurs sont de plus en plus souvent confrontés à des personnes qui, sous couvert d’art populaire, tentent leur chance en apportant des vieilleries relevant davantage de la ferraille, voire du vide-ordures ! Mais une bonne surprise est toujours possible lorsqu’on sait séparer le bon grain de l’ivraie… Comme cette découverte faite par notre expert, Martine Houze, «au milieu d’un monceau de cochonneries : un sublime porte-chaleil en merisier en forme de crémaillère, datant du XIXe siècle». Pièce rarissime, finalement adjugée 7 250 €… Un trésor comme on n’en découvre qu’à Drouot.

Par Dimitri Joannidès – Gazette N°26 du 3 juillet 2009

 

 

vous avez dit populaire ? par dimitri joannidès

porte-chaleil d’Auvergne adjugé 7 250 €

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