Propos sur l’Art Populaire du Québec

 

Point de vue sur

La Nouvelle Encyclopédie des antiquités du Québec

La réécriture d’un classique du domaine du patrimoine matériel, qui couronne en quelque sorte une facette marquante de la carrière de Michel Lessard, devait retenir l’attention de notre rubrique « point de vue ». Plus de trente-cinq ans après la parution de L’Encyclopédie des antiquités du Québec, aux Éditions de l’Homme en 1971, voit le jour La Nouvelle Encyclopédie des antiquités du Québec, un ouvrage entièrement refondu, augmenté et enrichi d’une remarquable illustration. Trois spécialistes de la culture matérielle donnent leur point de vue sur ce livre marquant à plus d’un titre : Yves Bergeron, ethnologue qui succède à Michel Lessard à l’Université du Québec à Montréal, Gerald Pocius, de l’Université Memorial à Saint-Jean, Terre- Neuve, et Martine Houze, expert en art populaire français et objets de curiosité.

 


 

Voyage en terre québécoise

 

Je n’ai jamais voyagé qu’à travers la musique et le chant, les livres et les objets. Adolescente, je découvrais le Québec grâce aux trois ténors de la chanson d’expression française : Félix Leclerc, Gilles Vigneault et Robert Charleboix.

Parallèlement, je fréquentais l’admirable Musée de l’Homme et fus prise de fascination par les objets amérindiens et inuits. Puis, sur les quais de Seine, je dénichais le Lessard de L’Encyclopédie des antiquités du Québec qui m’initiait sur la voie de l’expertise.

Le chapitre sur le dépistage du faux n’a fait que renforcer ma vigilance et, depuis, je n’ai eu de cesse d’élargir mes compétences. Il y a ainsi la copie ou vrai faux fabriqué à partir de rien et vieilli artificiellement, le demi-faux façonné à partir de deux ou trois épaves ou d’une pièce authentique que l’on a surdécorée, antidatée ou maquillée. Enfin, il y a cette catégorie d’objets où la provenance l’emporte sur l’objet en tant que tel et à qui l’on prête une origine prestigieuse à l’instar d’une relique. Les propos de l’auteur répondaient à des préoccupations qui sont hélas toujours d’actualité.

L’histoire de l’art ne perçant pas tous les mystères, j’ai ainsi étudié le clou et la vis, l’évolution des outils et de leur trace, le mécanisme des serrures, et approché la xylologie pour mieux connaître les essences de bois. Michel Lessard ainsi que Marcel Curtat, avec ses antiquités vraies et imitées, m’ont ainsi donné des clefs pour aborder l’expertise des objets et en éviter les embûches. Poursuivant la lecture du livre de Michel Lessard, je partais à la découverte d’une autre France avec des objets qui avaient pris l’accent d’un nouveau terroir. L’auteur concluait ainsi son avant-propos : « Un tel guide ne peut être définitif. Il y aura toujours place pour quelque amélioration dans une édition subséquente. » C’était en 1971, et voici chose faite en 2007 chez le même éditeur.

À la réception de cette nouvelle mouture sous la forme d’un pavé de mille et des pages, j’ai imaginé l’ampleur du territoire investi et me suis mise à rêver – à quand un tel ouvrage pour recenser le patrimoine mobilier de chaque région française ? Quel éditeur tenterait cette aventure ? Et quels auteurs s’attelleraient à une telle tâche avec toute la rigueur requise ? Si la couverture de cette encyclopédie n’est guère attrayante, bien que le choix du coq pour illustrer la première soit des plus pertinents, la maquette intérieure est remarquable, et les photographies ainsi que l’impression sont d’excellente qualité. Que de choses ai-je apprises dans cet ouvrage, depuis le fonctionnement des lampes à huile de baleine, jusqu’à la découverte du mobilier en vinyle capitonné des années cinquante, en passant par la fabrication du sucre d’érable.

Néanmoins, les chapitres qui m’apportent le plus d’émotion sont voués aux objets d’art populaire. En tête, je mettrais l’œuvre d’un « patenteux », la petite fille et son seau de fraises, symbole du temps des quatre-temps. Puis mon cœur balance entre la main de truites ou le cheval de bois venu du fond des âges.

Comme le souligne l’auteur, c’est probablement dans les travaux féminins du textile que la création populaire québécoise est la plus féconde et originale, avec ces tapis crochetés cinétiques ou ces couvre-lits abstraits à pointe folle.

Il y a aussi toutes ces œuvres à l’imagination « furibonde ». Comment résister à la vache aux grands yeux de Léonce Durette ou aux hommes totems de Gerald Hunt. Aussi surprenants, les pots à tabac en pierre sculptée de Saint- Marc-des-Carrières. La plupart de ces sculptures, bien que récentes, ont encore cet aspect authentique, comme si le souffle de création populaire ne s’était jamais éteint au Québec.

Au fil des pages, j’ai buté sur quelques mots, douté de certaines attributions ou éprouvé un manque d’information. Oh ce ne sont que quelques broutilles parmi le champ embrassé qui est immense et ma lecture n’est que celle d’un expert en art populaire français.

En l’absence de dimensions, il est parfois difficile d’évaluer la grandeur de certains objets particuliers à votre pays. Il en est ainsi de l’enseigne de coiffeur ou poteau de barbier (p. 26), en forme de quille à fût torsadé. En France, les coiffeurs ont pour enseigne une queue-de-cheval suspendue à une boule en fer-blanc doré d’environ 30 cm de diamètre.

Faire la différence entre des marques à beurre et des marques à pain ou à pâtisserie n’est pas aisé. Étonnée de l’absence de marque à pain dans cet ouvrage, j’ai fini par en dénicher une parmi des étampes à beurre (p. 145).
De forme circulaire, cette marque est sculptée en intaille d’une croix grecque et des initiales « IC XC NI »pour signifier « Que Jésus soit vainqueur ». Au revers, une poignée carrée formant cachet reprend la formule. Cette intruse est une marque à pain bénit utilisée par l’église orthodoxe grecque..

À travers la poterie, je me suis trouvée en pays de connaissance avec la terre vernissée de Saintonge, bien connue grâce au travail de fouilles de Jean Chapelot. Il en est ainsi de la bouteille à anse, des pichets, de la jatte à lait et du bassin en terre vernissée à l’oxyde de cuivre présentés sous les n° 5.32 et 5.43. Je n’ai pas trouvé leur qualificatif très heureux « terres cuites grossières livrées par l’épave du Machault » – ce sont tout simplement des terres vernissées. L’une d’elle est qualifiée de terre cuite commune à glaçure verte ; je reconnais bien là une expression propre aux premiers conservateurs du Musée national des arts et traditions populaires, et qui me trouble également.

Par contre, la poterie de grès n’est qualifiée ni de lourde, ni de grossière ni de commune. Bref, ces épithètes n’apportent rien à la compréhension de la céramique. Autre point de détail : les assiettes (n° 5.6 et 5.7) sont décrites comme étant festonnées au marli. Marli et aile, ces deux mots sont souvent pris l’un pour l’autre. Il serait plus juste de dire, aile à bord festonné pour la première, et à bord chantourné (ou contourné) pour la seconde.

Au chapitre de la Vie domestique, je m’interroge quant à cette belle expression « main de forge ». Un doute subsiste, est-elle synonyme de fer forgé ou qualifie-t-elle un objet en fer forgé qui prolonge la main ?

Le trépied (n°4.52) n’est autre qu’un gril à plateau tournant circulaire. La figure n° 4.53 ne représente pas une crémaillère à glissière, mais un chandelier à poser ou à suspendre pouvant également faire office de porte-éclat de bois résineux, originaire d’Allemagne du sud. Quant au porte-broches (n° 4.54), il provient du Pays Basque. La crémaillère à dents (et non à cran n° 4.58) est issue du nord de la Loire alors que le modèle à anneaux est spécifique au sud de la Loire.

Dans la section étain, le moule (n° 4.158) en forme de cœur agrémenté d’un cupidon, probablement français, est utilisé pour la glace. Il ne s’agit pas d’un moule à cannelets du Bordelais ; les cannelets (ou cannelés) étant des petits gâteaux réalisés dans un moule en cuivre étamé, de forme cylindrique à paroi cannelée.

En tête du chapitre des outils, est reproduit un compas en laiton à profil de jambes présenté comme un compas d’intérieur. Ce modèle, probablement français, est dit maître à danser et permet de prendre la mesure extérieure ou intérieure d’une pièce. Pour cela, il suffit de retourner les branches. Le domaine des outils des artisans illustre bien la fusion qui s’est opérée au Québec entre la France, l’Angleterre et les États-Unis. Pour développer cet aspect, il serait nécessaire d’avoir les objets en main.

Parmi les biens religieux, notons un bas-relief en bois doré figurant l’agneau de l’Apocalypse couché sur le livre aux sept sceaux (que personne n’a été digne d’ouvrir), et non sur l’évangile (p. 734, n° 17.11). Les figures (n° 17.59 à 17.61) représentent le sacré-cœur de Jésus et non l’agnus dei.

À noter, accompagnant les outils de menuisier, un bijou ainsi décrit : « médaille de la United Brotherhood of Carpenters & Joiner of America, local union 730, Ville de Québec, tissu, celluloïd et métal, fin du XIX e siècle » (p. 776). Il me semble qu’il s’agit d’un bijou maçonnique en argent de passé vénérable figurant une équerre à laquelle est suspendu le développement du théorème de Pythagore. Ce type de bijou, venant d’Angleterre, porte souvent au revers une dédicace émanant de la Loge qui honore son ancien président. Il serait étonnant qu’un syndicat ouvrier ait pris ce bijou pour emblème, mais qu’un de ses membres l’ait porté dans le cadre de la franc-maçonnerie est de l’ordre du possible. Je peux aussi me tromper, ne connaissant pas les us et coutumes de votre pays.

Il y aurait encore mille et une choses à évoquer. Ces moules à sucre d’érable en deux parties que je pourrais confondre avec certains moules à cire pour ex-voto d’origine allemande. Car, si la France est bien présente au cœur du Québec, l’apport des pays alémaniques ne semble pas négligeable. Je pense à l’univers du jouet avec ses arches de Noé sorties tout droit d’un atelier de Sonneberg, au domaine de la céramique avec ses grès dans le goût de Westerwald ou de Betschdorf, au monde de l’outil avec certains rabots comme le modèle à corne au chiffrage bien caractéristique (p. 766).

J’ai particulièrement apprécié la clarté de l’écriture, utilisant un vocabulaire précis et coloré, avec des mots parfois sortis de l’usage, comme minot, tinette, main de forge, voliche. Ce dernier étant peut-être une déformation du mot volige, désignant une planche mince et étroite que l’on utilise en couverture et qui, dans le contexte du mobilier québécois, s’applique aux traverses intégrées dans le dossier d’une chaise. Mots issus d’un français régional qu’il importe de sauver au même titre que les objets. Le seul grand écart que je note au niveau des descriptifs est relatif au mobilier. Vous parlez de caissons soulevés que l’on désigne par panneaux à plate-bande embrevés. Les vantaux appuyés sur le bâti correspondent à des vantaux venant en applique. Au lieu de vantaux intégrés au bâti, nous préférons dire vantaux prenant place dans des feuillures.

Mais la chose qui m’a le plus étonnée est sans doute le lien étroit que semblent entretenir les scientifiques et les acteurs du marché de l’art au Québec. En France, cela ne va pas de soi, tout est cloisonné, à de rares exceptions près. Il y a ceux qui savent, ceux qui assouvissent une passion et ceux qui font de l’argent. Il fut un temps où cependant les conservateurs sortaient de leurs « réserves » et arpentaient le terrain. Qu’un ethnohistorien commence son ouvrage en honorant les collectionneurs et le termine en rendant hommage aux antiquaires, brocanteurs et rabatteurs « participant à la conservation de la mémoire », est un propos qui me paraît impensable sous la plume d’un universitaire français.

Merci à vous, Monsieur Michel Lessard, votre encyclopédie m’a permis de voyager dans votre pays qui est aussi le mien. Merci pour l’attachement que vous portez à la France, à sa culture et à ses musées. Merci à vos collaborateurs et aux éditions de l’Homme : le résultat recherché est atteint.

Il n’y a pas de meilleur véhicule que l’objet pour parler d’un pays.

Martine Houzé

Revue Rabaska

Voyage en terre québécoise / Michel Lessard, La Nouvelle Encyclopédie des antiquités du Québec , Montréal, les Éditions de l’Homme, 2007, 1103 p.
ISBN 9782761919333.

Buisson de truites et moules à sucre

 

propos sur l’art populaire du québec

Enseignes forgeron, dentiste, coiffeur, cireur, etc.

 

propos sur l’art populaire du québec

Couvre-lits à pointe folle

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